374.Guy Vallancien - L'hôpital mérite mieux qu'une pétition Des personnalités lancent un appel pour sauver l'hôpital public,
Oui signer une pétition démagogique et vide/partial ne résoud rien.
Il fait s'attaquer aux vrais problèmes et arrêter de se raconter des histoires. Il n'y pas de management hospitalier digne de ce nom. C'est le plus grave problème. Il y a un gâchis de moyens énorme. Chaque acteur ne fait pas sa part. Halte aux slogans démagogiques. Ça tire au flanc des fois aussi. Voir un absentéisme excessif pour convenance.
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Des personnalités lancent un appel pour sauver l'hôpital public, mais ce qu'elles préconisent est simpliste et à l'opposé des remèdes qui s'imposent.
Par Guy VallancienRassemblement pour la défense de l'hôpital public, le 11 juin 2019.
© Riccardo Milani / Hans Lucas
La pétition d'une centaine de « célébrités » pleine d'émotion ne répond en rien à la nécessité de prendre en compte finement la situation des hôpitaux ni aux remèdes à apporter au profond malaise qui secoue le personnel soignant. Ce genre de manifeste ne fait malheureusement qu'ajouter du désordre à la crise au moment où nous devons restructurer l'offre de soins publique sur l'intégralité du territoire national. Avant de signer une pétition, mieux vaut se renseigner sur les solutions possibles et lire les plans déjà lancés et votés par le Parlement. Les lamentations aussi pétries de compassion que naïves des signataires appellent les mises au point suivantes :
« Assurer l'ouverture de lits afin que les malades puissent être hospitalisés quand c'est nécessaire et qu'ils ne passent plus des heures, voire des jours, à attendre, couchés sur des brancards ». Si l'objectif affiché va de soi, cela ne signifie en rien d'augmenter le nombre de lits. La France n'est pas un bon élève en la matière puisqu'elle possède 6,4 lits hospitaliers pour 1 000 habitants contre 2,4 au Danemark et 2,6 en Suède, pays exemplaires en termes d'organisation des soins fortement décentralisée et rationalisée sans les rationner, et dont les indicateurs de santé publique sont meilleurs que les nôtres. Cherchez l'erreur ! Organiser un flux sans attente est possible, comme l'ont montré certains services d'urgence bien organisés.
« Embaucher le personnel nécessaire dans tous les services pour assurer l'accueil, la sécurité, la qualité et la continuité des soins ». Vision infantile du problème, comme si le « toujours plus » pouvait servir de ligne de conduite politique. Quand certains médecins urgentistes cesseront-ils d'être employés à mi-temps hospitalier pour se faire engager à prix d'or par des boîtes d'intérim et assurer des vacations dans un autre hôpital que le leur ? En revanche, mieux répartir la charge entre le secteur ambulatoire, les soins de ville et l'hôpital, politique adoptée par le plan Ma Santé 2020 en cours de réalisation, est un projet qui se développe en privilégiant l'organisation des maisons et centres de santé, la transformation des petits hôpitaux locaux en centres de soins non programmés, toutes structures d'accueil qui auront à disposition des moyens de diagnostic biologique et d'imagerie pour réduire le nombre de passages aux urgences.
Pour ce qui est de l'accès aux lits d'aval lorsqu'une personne se présente aux urgences, il en va du management interne de chaque hôpital. Les services de spécialités devraient systématiquement accepter et traiter les cas urgents sans attendre parfois des jours. Or, les hôpitaux n'ont guère la culture du management qui implique la totalité des acteurs, même si certains directeurs se défoncent pour faire le maximum, naviguant entre le millefeuille inextricable des arrêtés et circulaires stérilisants qui encombrent leurs bureaux au quotidien. Un énorme travail est donc à entreprendre dans ce domaine, les médecins n'étant pas les plus faciles à gérer, individuellement et collectivement !
« Revaloriser les salaires du personnel ». Certainement, mais on ne décrète pas sur-le-champ de nouvelles grilles de revenus dans la fonction publique, chacun regardant sur sa feuille de paye ce que le voisin a obtenu pour, à son tour, réclamer une rallonge. Le gouvernement doit rattraper des années de retard en la matière. Nous partageons tous le constat que les infirmières, les aides-soignantes et les brancardiers sont mal payés. Il faut certainement les augmenter compte tenu de leur professionnalisme, de leur dévouement et de leur haute conscience professionnelle. Mais après ? « L'État central ne peut pas tout réguler. Les collectivités territoriales – régions, départements et communes – ont un rôle à jouer dans la mise en place des politiques de santé et de prévention, car elles connaissent bien leur population », a déclaré la ministre de la Santé Agnès Buzyn la semaine dernière lors de la Convention CHAM. « C'est pourquoi, dans le cadre de Ma Santé 2022, nous avons rendu la compétence générale aux collectivités territoriales. » On ne peut être plus clair.
Le pays n'échappera donc pas à une restructuration profonde de son parc hospitalier, car beaucoup trop d'établissements prennent en charge les patients pour des pathologies identiques, hôpitaux parfois simplement éloignés de quelques kilomètres les uns des autres.
La transplantation d'organe en est un exemple caricatural, notamment à Paris et à Lyon, où ne devrait exister qu'un seul centre de greffes « tous organes » permettant d'allier une recherche optimale à des soins de la plus haute qualité. Or, les services de transplantation sont dispersés, certains réalisant à peine 10 à 20 greffes par an, car on a trop longtemps privilégié pour des raisons corporatistes et de politique locale l'ouverture de services médicaux et chirurgicaux, voire de centres hospitalo-universitaires (CHU) qui n'avaient pas lieu d'exister. Quand comprendra-t-on que la concentration des hommes et des matériels est un impératif de qualité qui ne se discute pas.
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La France est saupoudrée d'établissements hospitaliers publics de petite et moyenne taille qui, selon le plan prévu par le gouvernement, verront leurs murs conservés, mais leurs missions révisées vers le premier recours en les transformant notamment en maisons et centres de santé pour désengorger les urgences, ou encore en établissements pour personnes âgées dont nous manquerons de plus en plus, en maisons de prévention et des associations de patients et autres besoins locaux. Dont acte ! Là encore, on ne transforme pas ces structures en un clin d'œil, ne serait-ce que sur le plan de la reformation du personnel. L'hôpital à tout faire du XIXe siècle auquel manquent entre 20 et 30 % de postes médicaux qui restent vacants est mort. Peu attractif compte tenu de sa faible activité, il oblige les directeurs à rechercher des médecins étrangers à la formation parfois limite pour remplir une liste de garde. L'hémorragie de praticiens, notamment de chirurgiens, d'anesthésistes et de radiologues est massive. Ils partent silencieusement, quittant leur poste même dans les CHU, moins pour l'argent que pour enfin pouvoir exercer leur art au quotidien. La culture numérique et les moyens qui s'y rattachent sont de façon criante quasi absents de nos établissements alors qu'ils peuvent décharger le personnel de nombreuses tâches simples.
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À perpétuer des structures de soins en sous-effectif, donc insécures, on assassine en toute impunité les personnes les plus fragiles et les plus démunies.
Nous n'avons pas trente-six solutions pour résoudre la crise qui enfle : tous les pays qui ont restructuré leur système hospitalier public vers plus d'efficience ont réduit ou transformé drastiquement le nombre d'établissements (jusqu'à plus de 50 %). La France n'y échappera pas, question de qualité des soins offerts aux malades, aux blessés et aux handicapés. Cette qualité doit primer toute autre considération, comme la proximité ou l'emploi, mirages dangereux. Elle doit concerner les structures, mais surtout les acteurs eux-mêmes sur la base d'indicateurs partagés. L'hôpital n'est pas la variable variable d'ajustement du chômage ! À perpétuer des structures de soins en sous-effectif, donc insécures, on assassine en toute impunité les personnes les plus vieilles, les plus fragiles et les plus démunies, celles qui ne peuvent pas se déplacer ou qui ne sont pas informées. Les autres savent très bien où se rendre, évitant l'hôpital de leur ville, élus y compris qui s'insurgent contre la désertification. Pour preuve les « taux de fuite », c'est-à-dire le pourcentage de personnes qui se font soigner ou accouchent ailleurs qu'à l'hôpital du coin, comme nous le montrent les données informatisées de l'Assurance maladie, taux qui peut s'élever jusqu'à 80 %.
Soyons lucides, révisons la carte sanitaire du pays dans une graduation harmonieuse de la prise en charge des patients en concentrant nombre d'activités sur la médecine ambulatoire grâce aux maisons et centres de santé équipés de moyens diagnostiques modernes, dont certains seront localisés dans lesdits hôpitaux. Tel est le projet de loi de financement de la Sécurité sociale en octroyant des moyens supplémentaires à ce secteur primordial.
La désorganisation, voire la quasi-absence de management du personnel hospitalier, s'ajoute à son faible niveau de rémunération et génére un malaise croissant. Or, organiser un service ne demande pas forcément des moyens financiers supplémentaires, mais une capacité d'écoute des demandes des agents qui ont bien souvent de très bonnes idées pour améliorer leur travail au quotidien. Malheureusement, peu de chefs de service ont cette capacité managériale puisqu'ils sont choisis par simple cooptation et non pas sur leurs capacités managériales. Nous devons dès maintenant repenser les critères de nomination des chefs de services et de pôles et leur octroyer une formation adéquate de gestion du personnel. Les directions des ressources humaines des hôpitaux devront, elles aussi, impérativement se transformer en mobilisant les énergies afin de reconnaître les meilleurs à leur valeur et à leur engagement, tout en sanctionnant les tirs au flanc et les déviants. Nouvelle manière de gérer à cent lieues de la culture du service public reposant sur d'obsolètes grilles d'avancement à l'ancienneté.
Finalement, c'est une véritable révolution qu'il faut entreprendre à l'hôpital, osant faire intervenir des process de management que refusent les tenants d'un hôpital fourre-tout pour mieux faire fructifier leurs petites boutiques politicardes destinées à saborder la transformation vers le mieux de nos établissements de soins publics. La liste des signataires est éloquente dans ce sens. Faire de la politique à l'hôpital n'a jamais servi ni les malades ni le personnel. Les problèmes sont connus, listés ; ils sont en voie de résolution.
Je connais et partage très sincèrement le désespoir du personnel soignant, mais on ne peut tout faire d'un coup de baguette magique ce qui a été laissé en plan des décennies ! Le diagnostic est posé, le traitement mis en route. Il faut certainement accélérer la perfusion et augmenter la dose, mais le médicament proposé est le bon. Nous devrons arriver à sauver l'hôpital ensemble, et pas les uns contre les autres.
*Membre de l'Académie de médecine et président de CHAM (Convention on Health Analysis and Management)