Raymond Poulidor est parti.
Il était et restera à jamais une légende du vélo et du Tour de France. Une légende française.
Mais c’est sa proximité avec le public, sa gentillesse et son immense modestie qui faisaient de lui notre chouchou.
Adieu Poupou
525.Poulidor ou la figure du perdant magnifique 19/11/2019 France culture
Un très grand. Chapeau bas. Les héros de mon adolescence. Merci. Pour toute cette simplicité sans les excès du fric.
Beaucoup plus vainqueur que perdant en réalité. RIP.
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Entretien |Les obsèques de Raymond Poulidor ont lieu ce mardi en Haute-Vienne. Célébré pour sa modestie et son humanité plutôt que pour ses performances, “Poupou” nous éclaire sur ce que le public attend, au fond, du geste sportif. Analyse avec le journaliste du Parisien Benoît Lallement.
Le panthéon sportif est un monde étrange : on y croise des champions ayant accompli les plus grands exploits mais aussi des personnages au palmarès moins évident. Raymond Poulidor était de ceux-là et le restera sans doute, même après sa mort survenue le 13 novembre 2019. "Poupou" incarne au fond la figure du "perdant magnifique", du héros trop humain et pas assez performant, ou pas tout le temps ; une figure à laquelle le public s'identifie, qui gagne le cœur des foules à défaut des plus belles médailles.
Pour un journaliste sportif, ces champions qui échouent offrent les aspérités que le reporter aime à raconter : en vingt cinq ans de carrière au Parisien, Benoît Lallement en a croisé quelques-uns ; il nous a accordé un entretien.
Raymond Poulidor n’a jamais gagné le Tour de France, jamais été maillot jaune - ne serait-ce qu'une journée. Et pourtant, il reste comme l'un des plus grands cyclistes dans la mémoire des Français, “notre chouchou” pour la ministre des Sports Roxana Maracineanu. Pourquoi ?
Poulidor n'a jamais gagné le Tour de France, jamais porté le maillot jaune mais il a beaucoup gagné ailleurs : 189 victoires sur une carrière qui s'est étalée sur des années puisqu'il a arrêté en 1977, à 40 ans. Donc, effectivement, il n'a jamais gagné l'épreuve la plus légendaire du cyclisme. Mais partout ailleurs, il a gagné. Et quand on interroge aujourd'hui tous les cyclistes qui lui rendent hommage, tous le soulignent, de Hinault à Merckx en passant par Thévenet : il a été un très grand cycliste, avec beaucoup de panache, très fort en montagne, très grand rouleur et qui a fini par être très bon en contre-la-montre. Je pense que c'est une première réalité ou une vérité à rétablir. Il n'a jamais été maillot jaune, mais il a beaucoup gagné. Après, il est vrai qu'en juillet, sur l'épreuve du Tour de France qui passionne la France, il n'a jamais gagné.
Et on a presque envie de dire qu'il a construit ensuite son personnage autour de ce champion qui n'arrivait pas à gagner. Parce qu’il a eu le malheur de croiser Anquetil (ou le bonheur, ils étaient très amis), qui était un champion hors-norme - cinq victoires sur le Tour. Un peu plus tard, il a aussi croisé Merckx, sans doute le plus beau palmarès du cyclisme mondial. Donc, il a été deux fois dauphin, d’Anquetil puis de Merckx et sur deux, trois tours, il n'a pas eu de chance. Il a fait sa légende là dessus, sur l'homme qui n'a pas réussi à gagner parce qu'aujourd'hui, c'est pour ça qu'il reste connu.
Finalement, on a oublié que Poulidor a tant gagné...
Il faut dire qu’il y a contribué. On a fait une interview de lui cet été puisque c'était les 100 ans du maillot jaune. Et paradoxalement, il a été sans doute l'un des champions les plus interviewés sur ce thème là. Il nous a répété qu’il n'aurait pas été Poulidor s'il avait gagné ne serait ce qu'un maillot jaune. Il a tiré une gloire de ne jamais avoir gagné.
Au fond, ce que le public attend chez un grand sportif, ce n'est pas forcément qu'il gagne ?
Qu’il ait aussi du panache, qu’il soit en position de gagner. On peut construire une histoire autour de la performance si on l'approche. C'est-à-dire que s'il n'avait été qu'un anonyme du peloton, s'il avait terminé au milieu du classement, on ne s’en souviendrait plus. Il a terminé huit fois sur le podium du Tour de France, ce qui est un record. Aujourd'hui, un Français qui termine deuxième du Tour de France, il fait une carrière là-dessus... Mais voilà, il était là tous les mois de juillet, du début à la fin. Il avait aussi une gueule. Il avait du panache. Il avait une histoire et il était un peu le reflet de la France de l'époque des années 60, 70. Fils de paysan, de Saint-Léonard de Noblat en Haute-Vienne, passionné par le vélo et qui utilise ce sport comme ascenseur social.
Et finalement, on s'identifie presque plus à Poulidor qu’à Anquetil, Merckx ou aux grands champions ?
C'est plus facile de s'identifier à quelqu'un qui rate de temps en temps, qui est imparfait. Merckx était surnommé "le cannibale", Anquetil avait cette image de champion froid, qui gagnait beaucoup mais partageait peu. Poulidor, c'est un peu l'inverse
Il y a d'autres exemples de sportifs français avec ce type de palmarès ?
Le sport français, pendant de longues années, a beaucoup perdu. On peut parler du football en commençant par le Stade de Reims, qui a fait deux fois la finale de la Ligue des champions en 1956 et 1959 contre le Real Madrid, en perdant 4-3 en 56 ; il y a toujours une mythologie autour de cette équipe. On se souvient aussi que les Verts ont descendu les Champs-Elysées après une défaite 1-0 en finale de Ligue des champions contre le Bayern Münich en 1976. Tous ceux qui ont plus de 40 ans se souviennent de cette équipe là et des fameux poteaux carrés du stade de Glasgow où a eu lieu la finale.
On se rappelle aussi de Séville 82 et de cette défaite magnifique et douloureuse de l’équipe de France en demi-finale du mondial face à la RFA. Il y a aussi Michel Jazy, qui a été un très grand champion, un très grand athlète et qui n'a jamais été champion olympique, seulement vice champion olympique en 1960 à Rome mais qui a été célébré dans toute la France. Quand on est deuxième aux Jeux, est-on perdant ou gagnant ? C’est un vaste débat. On gagne une médaille, mais on perd la course.
Ce n'est donc pas cantonné au cyclisme ?
Poulidor incarne vraiment en cyclisme le perdant magnifique. Mais il y a eu le football, l’athlétisme, le golf aussi avec Jean Van de Velde. Parce qu'il a terminé deuxième du British Open alors qu’il aurait pu gagner en 1999. Mais le dernier jour, au dernier trou, il commet l'irréparable et perd... Il aurait construit un autre personnage aujourd'hui encore s'il avait gagné le British. Mais voilà. C'est aussi une histoire magnifique. Les défaites sont aussi de très belles histoires.
On se lasse beaucoup et c’est peut-être français de se dire : on idolâtre les perdants. On aime beaucoup quand on commence à gagner, puis quand on gagne à répétition, on se lasse. Par exemple, Michael Schumacher a été un héros lors de ses deux premiers titres mondiaux. Puis, au bout du sixième, septième, on l'a moins aimé. Sébastien Loeb a été neuf fois champion du monde de rallye mais on a fini par s’en lasser alors qu'il s'agissait de performances extraordinaires. On pourrait parler d’un manque de culture de la gagne ou de culture du sport tout court. Par exemple, en Allemagne, Schumacher est considéré comme un héros et je ne suis pas certain que cela aurait été le cas en France. Chez nous, on aime bien ce mythe d’Astérix, le petit qui résiste et qui, de temps en temps, gagne.
Journalistiquement, cette figure du perdant magnifique vous intéresse ?
Je trouve qu’il y a plus d'aspérités à raconter dans une défaite que dans une victoire répétée. Surtout dans une défaite honorable. Avec Poulidor, on parle de ça, avec Jean Van de Velde aussi, l'équipe de France de 82 ou les Verts en 76. C'est une défaite en finale. C'est une défaite de justesse. Il y a une dramaturgie de la défaite magnifique et, c’est assez paradoxal parce que effectivement, il n'y a pas que la victoire qui est belle. Il y aussi le chemin pour y arriver.