Coma, mort cérébrale, EMI : conscience, y es-tu ?
La conscience, notion métaphysique par excellence, intéresse les scientifiques qui tentent de l'appréhender à l'aune de l'imagerie cérébrale et des différentes pathologies entraînant des pertes de fonction du cerveau. Voici un état des lieux de leurs connaissances.
Les parents de Vincent Lambert, qui contestaient la décision du Conseil d'Etat validant l'arrêt des soins de leur fils, ont vu leur requête rejetée par la Cour européenne des droits de l'homme le 30 avril. Ce lundi 20 mai, les médecins viennent d’appliquer la décision du Conseil d’Etat en interrompant les soins (alimentation et hydratation), et en initiant une "sédation profonde et continue".
Hospitalisé à Reims depuis septembre 2010, Vincent Lambert est en effet dans un état dit "de conscience minimale". D'imbroglios juridiques en recours divers, son cas cristallise à lui seul le débat français sur la fin de vie, divisant ceux qui condamnent un acharnement thérapeutique (son épouse et sa fille, notamment), et ceux qui dénoncent un acharnement judiciaire (ses parents, qui ont déposé de nouveaux recours suite à cette dernière décision du Conseil d'Etat).
Si l'affaire est aussi complexe et douloureuse, c'est bien que la notion de conscience, aujourd'hui, reste subjective, sinon métaphysique, et que même la science s'y casse les dents - et ce malgré les progrès des neurosciences cette dernière décennie.
Qu'est-ce qu'un état de conscience dit "minimal" et quels sont les différents états de conscience ? Sait-on en situer le siège, dans le cerveau ? Réponses à travers deux archives de La Méthode scientifique.
On peut être réveillé sans être conscient
C'est le premier postulat... celui qui complexifie encore la compréhension des états dits "végétatifs". En 2015, une vidéo filmée et diffusée par le comité de soutien de Vincent Lambert tendait à prouver que ce dernier pouvait interagir avec son environnement : on l'y voyait cligner les yeux, déglutir, prendre une grande inspiration... Pourtant, l'éveil ne prouve pas que la conscience subsiste, comme le soulignait le neurologue Lionel Naccache dans l'émission de Nicolas Martin, en décembre 2016.
Il y a des patients qui peuvent garder les yeux grand ouverts sans qu’on ait besoin de les appeler, de les stimuler, de les pincer. Ils ont une fonction d’éveil, mais néanmoins, rien ne trahit dans leur comportement une conscience du monde ou d’eux-mêmes. Donc on a deux fonctions qu’il faut bien séparer : la vigilance, et la conscience. Par exemple, il y a certaines situations beaucoup moins dramatiques que les états végétatifs, qui correspondent à cette situation d’éveil sans conscience, c’est certaines crises d’épilepsie où les patients restent debout : ils ont un tonus musculaire, les yeux ouverts, ils ont une vigilance, mais pendant quelques dizaines de secondes, ou quelques minutes, ils ne sont plus conscients.
Et si les systèmes neuronaux qui entrent en jeu dans l'état d'éveil (de "vigilance") sont aujourd'hui assez facilement localisables, ils le sont beaucoup moins précisément pour ce qui concerne la conscience, expliquait encore le neurologue :
La vigilance c’est dans le tronc cérébral. C’est ce qu’on appelle le système nerveux central, qui est composé de la moelle épinière. C’est un axe vertical. Et plus vous montez, plus vous vous approchez du tronc cérébral, qui lui-même a trois niveaux : la protubérance, le bulbe, et les pédoncules. Ensuite il y a le diencéphale et le cortex, le néocortex… Ce que l’on sait depuis les années 1940-1950, c’est qu’il n’y a pas de région de la conscience... mais qu’il y a une région de la vigilance. Il y a un système qu’on appelle le ARAS en anglais, pour “ascending reticular activating system", le système réticulaire activateur ascendant, qu’on appelle aussi la “formation réticulaire”, qui se situe dans le tronc cérébral, notamment la partie postérieure de la protubérance, et qui projette vers le thalamus, qui est un noyau, et qui va moduler l’activité du cortex. Donc on a une région, assez vaste, dans le tronc cérébral, qui est le siège de l’éveil. Et on a un réseau beaucoup plus large, fronto-pariétal et thalamique… donc la conscience est beaucoup plus compliquée que l’éveil.
Les comas, et l'invention du respirateur artificiel qui a compliqué la donne
En novembre 2017, La Méthode scientifique se penchait à nouveau sur ce grand mystère de la conscience. Deux mois plus tôt, une équipe de l’Institut de sciences cognitives à Lyon annonçait en effet avoir réussi à augmenter l’état de conscience d’un patient en état végétatif depuis quinze ans, grâce à une stimulation électrique répétée du nerf vague. "L’homme, qui ne réagissait à aucune stimulation, a ainsi pu répondre à des demandes simples, comme suivre un objet avec les yeux ou tourner la tête”, précisait Nicolas Martin en introduction de son émission.
Le neurologue Steven Laureys qui intervenait de la Méthode scientifique,directeur du “Coma science group” au centre de recherche de l’université de Liège, revenait à cette occasion sur les différents états de conscience diminuée, et notamment sur le coma, ou plutôt "les comas" : des "états de conscience limites, distincts, qui ne sont pas les mêmes", et qui correspondent à une perte de la conscience ET de la vigilance (éveil). Cependant, comment savoir en cas de coma si la conscience subsiste, alors même que le corps, aidé par le respirateur artificiel, conserve toutes ses fonctions ? C'est précisément cette impossible objectivité qui engendre nombre de situations douloureuses, explique Steven Laureys :
Il faut distinguer deux situations : la situation aiguë, due à un trauma crânien, un arrêt cardiaque, une hémorragie cérébrale… ça veut dire qu’on n’est plus réveillable, on ne va jamais ouvrir les yeux, même quand on est stimulé, et tous les mouvements qu’on observe, qui sont très limités, sont des réflexes. Auparavant c'était simple : on avait les trois fonctions critiques du corps, le cœur, les poumons, et le cerveau, et si l’un des trois ne fonctionnait plus, les deux autres s'avéraient forcément défaillants. [L'invention du respirateur artificiel] a engendré une révolution : ç’a été le début des soins intensifs, et la naissance d’une réflexion sur l’acharnement thérapeutique... jusqu'à la redéfinition même de la mort comme un coma irréversible, où tout le cerveau a perdu son fonctionnement : quand votre cerveau est mort, vous êtes mort. Ensuite il y a les personnes qui ne sont pas en mort cérébrale, mais qui n’ont plus de chance de récupération. C’est à l’équipe que revient la décision de dire : “On a perdu le combat, on va le laisser mourir”. En France, la majorité des décès en soins intensifs correspond à cette décision-là. Et puis parfois, et encore trop souvent, il y a trop d’incertitudes, et on continue : c’est là qu’on va créer ces fameux états altérés de conscience, qui peuvent être chroniques, comme l’état végétatif. On continue les soins, le patient survit, et classiquement, après quelques jours, quelques semaines, il se réveille, mais souvent sans conscience, et là c’est un drame. Et cela peut durer des années, voire des décennies.
L'état de conscience minimal et le pseudo-coma (syndrome d'enfermement)
Beaucoup de patients présentent quand même une certaine forme de conscience, c’est l’état de conscience minimal, analysait encore Steven Laureys : "C’est peut-être encore plus difficile parce que parfois le patient perçoit les émotions, la souffrance, comme l’ont démontré les études d’imagerie qu’on a menées au CHU de Liège. C’est très difficile pour nous car ce n’est pas une garantie de récupération vers une communication. L'enjeu est fort, car pour les patients capables de s’exprimer, ça leur donne le droit à l’autodétermination, c’est-à-dire de dire ce qu’ils perçoivent, ce qu’ils veulent."
Autre syndrome plus connu, car médiatisé par le livre (adapté en film) Le Scaphandre et le papillon (témoignage du journaliste Jean-Dominique Bauby suite à son AVC) : le pseudo-coma, aussi appelé "syndrome d'enfermement" ("locked-in syndrome") : Vous vous réveillez de votre coma, complètement conscient, mais paralysé, et classiquement, vous pouvez uniquement communiquer par de petits mouvements des yeux.”
Alors, quand peut-on décréter une mort cérébrale ?
D'après Steven Laureys, depuis les années 1950 et l'invention du respirateur artificiel, jamais un patient qui n'avait été diagnostiqué en état de mort cérébrale n'a récupéré conscience et ce même si, souligne-t-il, les diagnostics restent probabilistes.
Dans ces conditions, quels sont les critères permettant d'établir une mort cérébrale (lourde responsabilité !) sans se tromper ?
On a un coma dont on connaît la cause. On exclut l’intoxication, le patient n’est pas refroidi, et tous les tests au bord du lit montrent qu’il n’y a plus d’activité cérébrale, de réflexe du tronc cérébral : le médecin met une petite lumière dans les pupilles, qui ne bougent plus. Il va vérifier qu’il n’y a plus de réflexe de respiration, et quand le cerveau est mort, vous êtes mort. On va confirmer ce diagnostic important avec des tests objectifs : le meilleur est de vérifier que le cerveau qui a besoin de beaucoup d’apport énergétique, de flux sanguin, ne reçoit plus de sang, n’est plus irrigué. On va le démontrer avec différentes techniques… et alors là, c’est la mort cérébrale, on parle éventuellement de dons d’organes et transplantation. Pour être conscient de soi-même, de son environnement, il faut être réveillé. J’aime bien cette définition qui est très terre-à-terre : la conscience, c’est ce qu’on perd toutes les nuits quand on s’endort. Notre niveau d’éveil diminue, on ferme les yeux, et à un moment, on perd conscience de ce qui nous entoure. Le rêve est déjà un exemple très illustratif de la complexité de la question.
Et un état végétatif ?...
Notre mesure de la conscience est toujours biaisée par une réponse motrice, alertait encore Steven Laureys.
Mon test de la conscience, c’est quoi ? Je vais vous poser une question simple : serrez-moi la main. Regardez le plafond. Bougez le pied. Si vous le faites, c’est la preuve que vous êtes conscient. Mais si vous ne le faites pas, ai-je vraiment prouvé que vous êtes inconscient ? Peut-être êtes vous sourd, paralysé, et votre cerveau n’est plus connecté avec les muscles… donc il y a énormément de limite à cette mesure clinique de la conscience. Il faut donc utiliser les technologies, les scanners, les machines qui voient ce qu’il se passe à l’intérieur de ce cerveau. On a développé à Liège un test où on demande de bouger la main, et on regarde ce qui se passe dans le cerveau.
Mais d'après lui, les zones du cerveau correspondant à la conscience du monde ont aujourd'hui été suffisamment identifiées pour réduire l'incertitude d'un pronostic :
Ce n’est pas une petite région, c’est vraiment un vaste réseau. En fait il y en a deux : pour ce qui relève de la conscience du monde extérieur, ce qui est sensoriel, perception, il y a un réseau devant et derrière, “fronto-pariétal”, probablement dans chaque hémisphère. Chaque hémisphère, probablement, a sa conscience. Ensuite, il y a la conscience de notre monde intérieur : cette petite voix qui permet d’avoir des rêveries, de l’imagerie mentale, dépend d’un deuxième réseau qui est intérieur, devant et derrière ; et cette connaissance-là, on essaye de la traduire maintenant vers la clinique et de la documenter avec différentes machines pour savoir dans quelle mesure ils sont blessés, abîmés...
Et ce, même si le mystère autour de cette vertigineuse notion qu'est la conscience est loin d'être levé. Preuve en est de l'incapacité des scientifiques à expliquer avec certitude les expériences de mort imminente (EMI) : cette fameuse "lumière blanche" vue par certains malades que la médecine croyait privés de conscience suite à un coma.... ou même en état de mort cérébrale.