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Guy Laplagne
21 septembre 2019

313.nterview Management] "Les Français sont les champions de la complication !", assène Vinciane Beauchene (BCG)

Des modes, de l'idéal, des consultants. Rien de bien nouveau.

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nterview Management] "Les Français sont les champions de la complication !", assène Vinciane Beauchene (BCG)

CHRISTOPHE BYS  ,  

PUBLIÉ LE 20/09/2019 À 14H00

ENTRETIEN "Les managers français sont à bout de souffle", indique le titre d'une étude internationale réalisée par Ipsos pour le Boston Consulting Group (BCG). Vinciane Beauchene, directrice associée du bureau parisien et spécialiste du leadership et de la gestion du changement, a répondu à L'Usine Nouvelle. Si la situation est sombre, elle n'est pas désespérée. Selon elle, le développement des méthodes agiles pourrait, sous certaines conditions, redonner du baume au coeur des managers et des managés.  

[Interview Management] Les Français sont les champions de la complication !, assène Vinciane Beauchene (BCG)Vinciane Beauchene, directrice associée du bureau parisien du BCG© Vincent Blocquaux

 

L’Usine Nouvelle : Fallait-il vraiment réaliser une étude supplémentaire (*) pour découvrir que les managers intermédiaires sont au bout du rouleau, fatigués, débordés et très inquiets quant à leur avenir, ce qu’on répète depuis plusieurs années en vain…

Vinciane Beauchene : Ce qui est nouveau, c’est que l’on commence à apercevoir des pistes pour s’en sortir. Je suis d’accord avec vous : dire qu’il y a un malaise du middle management n’est pas très nouveau. Toutefois, cette étude montre une prise de conscience du fait qu’on est arrivé aux limites d’un modèle. Les managers eux-mêmes le disent désormais : ils pensent que leur fonction va devoir changer ou disparaître. Encore récemment, devenir manager était la voie royale pour progresser dans un service. Aujourd’hui, nous voyons émerger l’image d’un manager idéal qui est davantage un coach, qui donne du sens et développe ses équipes. Et ce n’est pas qu’un rêve, c’est déjà le cas dans certaines entreprises pionnières.

Votre étude est internationale et révèle que si le phénomène est global, il existe un malheur français d’être manager qui semble spécifique. Pourquoi selon vous ?

Le monde est devenu de plus en plus complexe, avec des contraintes croissantes. Dans l’automobile, il ne suffit plus d’arbitrer entre le coût et la qualité ou d’essayer de conjuguer les deux, il faut prendre en compte les objectifs de sécurité, la numérisation ou la préoccupation environnementale. La réponse organisationnelle à la complexité a été de créer de la complication – multiplication des réunions, du reporting et des process. Yves Morieux, directeur de l’Institut de l’organisation du BCG, a calculé que la complexité a été multiplié par six au cours des 50 dernières années. Le pays où la complication a le plus augmenté est la France. Elle a été multipliée par… 35, soit presque six fois plus.

Cela déplace la question. Pourquoi ce record français ?

La tendance est mondiale. Mais en France, je crois que c’est lié à notre culture cartésienne par rapport à des cultures plus empiriques. On adore les grandes idées, produire des rapports… A cela s’ajoute peut-être un biais culturel : quel que soit le sujet, les Français sont plus critiques que la moyenne internationale.

Selon votre étude, quel est le principal problème des managers ?

Ils identifient très bien ce problème de complication qui est au cœur de leur quotidien. Ils gèrent de la complication quand ils rêvent de créer de la valeur ajoutée ou de faire grandir leurs équipes. Ils voudraient avoir plus de temps. Ils sont aussi obligés d’appliquer des décisions qui viennent d’en haut alors qu’ils voudraient y être associés. Ces problèmes se reflètent dans leur agenda : ils passent leur temps dans des réunions ou à faire du reporting. Les managers ne sont ni avec les clients, ni avec leurs équipes.

Et leur principale attente ?

Quand on leur demande ce qui les aiderait, ils nous répondent qu’ils voudraient qu’on clarifie leur rôle. Encore une fois, ils sont au cœur du problème : on a redescendu vers eux toutes les difficultés de l’entreprise sans toujours ni les prioriser ni les aligner. Il ne faut jamais oublier que le middle manager a lui-même plusieurs managers qui ont chacun leurs priorités et qui les répercutent sur le manager de proximité. Trop rarement, on s’interroge pour savoir si ces priorités sont ou non conciliables. Le manager intermédiaire doit se débrouiller.

Leur deuxième grande attente concerne le manque de temps. Ils voient bien que le monde change autour d’eux, que ce soit le numérique, les nouvelles générations ou les exigences de sustainability. Ils voudraient s’y préparer mais n’ont pas le temps de le faire.

Votre étude est internationale et montre qu’en France, le manager idéal « motive, donne du sens et élimine les obstacles ». En Chine ou en Allemagne, le manager idéal décide d’abord. Faut-il s’inquiéter de ce décalage ?

Je ne le crois pas. Cela révèle que la France a une plus grande maturité sur les questions managériales. Le modèle du manager qui commande et contrôle est daté et ne survivra pas durablement. Les modes de management qui émergent sont agiles, et le manager qu’il faut pour cela correspond au manager idéal tel qu’il est décrit par les Français dans l’étude : il autonomise ses équipes et les responsabilise en même temps.

Souvent les opérationnels tentent de faire de l’agile de façon parfois un peu bricolée, mais que les fonctions dites support bloquent parce qu’elles ont une logique inverse. Peut-on réconcilier le métier et les supports avec l’agile ?

L’agile casse les silos, cette vision de l’entreprise où, à tous les niveaux, certains pensent et d’autres agissent, certains font et d’autres contrôlent. Par exemple, chez Spotify on n’a pas d’un côté des développeurs et de l’autre des testeurs. Ce sont les mêmes personnes qui développent et qui testent. Quand on déploie l’agile, ça commence souvent par le métier. Si on veut ensuite passer à l’échelle, les fonctions supports sont concernées.

Parmi les fonctions affectées, il y a les achats qui doivent revoir leur manière de faire. La fonction finance est aussi concernée : on ne peut plus travailler avec un budget annuel quand on doit pratiquer des itérations permanentes. Idem pour les RH qui raisonnent en entretien annuel. Le passage en mode agile oblige à revoir le fonctionnement de fond en comble : on ne peut pas, par exemple, garder les mêmes indicateurs.

Le mode agile est justement ...à la mode. Comment faire pour qu’il ne connaisse pas le destin de toutes les modes : être un jour has been ?

Le risque de voir se développer du agile washing comme il y a du green washing est un vrai écueil. Certaines entreprises vont communiquer sur ce sujet sans aller au bout de la logique et à la fin on fera le procès de l’agile. On a connu un phénomène analogue avec le lean management dans le passé.

Pour ma part, je suis persuadée que la méthode agile est une révolution aux effets puissants qui induit un changement profond. Si, pour les manages, le passage à l'agile n’est qu’une complication supplémentaire, c'est que leur entreprise ne fait pas de l’agile.

L’agile suppose une meilleure coopération, qui devient alors un facteur de réussite majeure. Le silo est mort, il va falloir coopérer davantage. C’est aussi un moyen d’avoir ce que tant d’entreprises cherchent : davantage d’engagement des salariés car ils sont responsabilisés et plus autonomes, après avoir vérifié que tout le monde va dans le même sens dans l’entreprise.

Pour cela, l’agile crée de la valeur car il remet le client au centre de l’entreprise. Les entreprises qui pratiquent cette méthode organisent régulièrement des sprints dans lesquels les clients sont impliqués.

C’est possible dans les grandes entreprises ou est-ce réservé aux start-up ?

De grandes entreprises se sont lancées et obtiennent des résultats comme ING direct. Renault est en train de le faire. La réussite demande un vrai changement du modèle opérationnel. C’est impossible si les RH ne suivent pas.

Les managers disent qu'ils sont favorables au mode agile, mais qu’en est-il vraiment ? Tout le monde est toujours pour un mode qui semble plus beau, plus simple… Mais le jour où ils devront rendre les clés du pouvoir et de ses attributs, que se passera-t-il ?

Lorsqu'on étudie si les gens sont ou non prêts à changer, on observe trois niveaux. Sont-ils conscients qu’il faut changer ? Ont-ils envie de changer ? En sont-ils capables ? Pour la première question, la réponse est positive clairement. Sur la seconde c’est plus flou, mais la définition du manager idéal - en France notamment proche du manager agile - laisse penser qu’ils le sont.

C’est dans la réponse à la troisième question "en sont-ils capables" que le bât blesse. Aujourd’hui, ils ne sont pas formés pour cela. Pour réussir ce changement, les entreprises doivent massivement investir dans la formation. Empiriquement, nous observons un doublement du budget de formation dans les entreprises qui ont réussi à passer en mode agile.

Si les directions font ce choix uniquement pour faire des économies, elles risquent d’être déçues. L’agile, il faut le faire pour améliorer la productivité ou la satisfaction du client. L’agile peut permettre de faire des économies mais nécessite des investissements, notamment sur la formation et le développement des compétences.

 

(*) Note technique :

L'étude a été réalisée par Ipsos pour le BCG entre le 14 juin et le 15 juillet 2019 auprès de 5000 personnes (1500 managers et 3500 managés) dans 5 pays (France, Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Chine) travaillant dans des entreprises de plus de 200 salariés. La définition retenue de manager suppose d'encadrer une équipe d'au moins 5 personnes et de ne pas être membre du comité exécutif, ni d'être sous la responsabilité d'un membre du comité exécutif

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